Pirli B612's diary

jeudi, février 09, 2006

09/02/06

Il y'a une tâche sur le mur.
Non sérieusement cette tâche m'embête. Tout est immaculé, et là, il y a une tâche. Je la fixe depuis des heures, elle m'absorbe. Comprends pas. Je suis pas du genre maniaque, mais là cette tâche... Ahlala, je m'ennuie quand même. Et puis je sens la cigarette, ça aussi ça m'énerve. Je sais pas ce que j'ai aujourd'hui, un rien m'embête. J'ai mal à la patte droite, hier elle me l'a écrasée pendant son sommeil. Non mais à quoi ça sert le grand lit? Allez lui expliquer ça! Mademoiselle ne veut rien savoir, faut qu'elle m'empêche de dormir. Pire, je me suis réveillé par terre. Sur le carrelage, carrément, avec ce froid! Heureusement que je suis polaire, non mais je vous jure! Aucune considération! Bon c'est vrai que quand elle s'en est rendue compte elle s'est levée exprès pour me remettre dans le lit, mais quand même, elle pourrait se pousser un peu...
Hier elle est rentrée tard, et fatiguée. Les bus, les bouchons, ses chevilles bousillées...mais bizarrement elle était heureuse. Pas de bonne humeur, mais heureuse. Et paisible. Elle ne pouvait pas arrêter de sourire, d'un sourire que je ne connais que par ses vieilles photos. Elle me raconta sa journée tout en me caressant le nez, la bouche, le dos. Rien de spécial, travailler, faire semblant de travailler, voir des gens, être gentille, parler, et puis rentrer. C'était galère pour rentrer, on l'a déposée loin de tout arrêt de bus, elle a dû longer le canal par le boulevard pendant un moment, tout lentement, car chaque pas lui faisait mal aux chevilles. Elle s'est sentie découragée, abandonnée. Il faisait froid. Et tout d'un coup une bouffée de beauté lui coupa le souffle. Un arbre, mort, nu, sec, au bord de l'eau. Je ne sais pas si c'était la musique qu'elle écoutait à ce moment là, ou le reflet de la lumière des réverbères sur l'eau, ou encore la fatigue, mais ce moment était parfait. Juste à côté du pont. La touche nocturne rendait la couleur de la pierre terriblement belle, indéfinie. L'eau du canal ondulait comme une hanche de danseuse au rythme de "de tout ton coeur". Les branches de l'arbre étaient magnifiques dans leur tristesse. Elle but cet instant volé à l'absurdité du monde, jusqu'à s'en assouvir. L'extérieur avait disparu, et elle se sentait belle et en phase avec la beauté dont ses yeux et tout son être s'émerveillaient. Puis le monde revint, avec ses pots d'échappements, son vacarme, sa puanteur. Mais rien ne l'atteignait plus. Elle a porté toute la soirée cette sensation de plénitude comme une boule de lumière dans sa poitrine. Ses chevilles? Bah, elle a vu pire. Les bus? elle finira bien par en trouver un, puis un autre, jusqu'à destination. L'heure tardive? C'est pas grave, de toute façon elle est créature de la nuit, elle aime l'air et le ciel de la nuit, elle aime sentir ses sens se réveiller un à un.
Je la regardais raconter, radieuse, bébé. (Je regardais encore la tâche de temps en temps). J'aurais voulu être avec elle, voir ce qu'elle a vu, avec ses yeux, son coeur, sa sensibilité ridiculement exagérée. J'aurais voulu être avec elle, et au moment où le flot d'émotion l'aurait submergée elle m'aurait serré fort, et elle aurait senti que je partageais tout cela avec elle et ça aurait doublé son bonheur, car le bonheur se multiplie quand il est partagé. Elle se croit heureuse, je la laisse à ses mensonges. Après tout ce qui est vrai dans nos têtes est vrai.